Friday, September 29, 2006

De quoi en faire un fromage.

J'ai 11 ans ou à peu près. Le repas tire à sa fin et l'on m'envoie chercher le fromage à la cuisine. Sur le plateau de bois sont disposés un long couteau et trois fromages différents dont l'un ne m'est pas familier. Je suis happé par la croûte duveteuse orangée qui tapisse sa surface, épouse soigneusement ses replis, scissures et circonvolutions. Une terreur fiévreuse s'empare de moi alors que je m'abîme dans ses dépressions vermiformes, saillies grouilleuses, déplacements sous cutanés, traces d'effraction des tissus. Je saisis le couteau, pique, lacère frénétiquement six ou sept fois, me libère ainsi de l'emprise fromagère et amène le plateau à la table, coupable, confus et muet face aux regards interrogateurs.
Sébastien Bergerat.

Friday, September 22, 2006

Pied mort.

Assis à un dîner ou couché dans un lit ; ce pied sans volonté, ce pied qui ne m'appartient pas vient effleurer ma jambe, comme une branche morte, une pierre dont la présence par défaut vient couper, restreindre mon territoire.
V.B.

Tuesday, September 19, 2006

Le noir.

J’ai cessé d’être insomniaque quand j’ai vécu en couple. Avant, j’allais souvent dormir chez une amie, j’étais capable de prendre le dernier métro pour ne pas dormir seule.

Depuis que j’ai l’âge d’avoir des souvenirs, j’ai peur du noir. J’ai peur des ombres, de la nuit, des films qui font peur. J’ai longtemps rêvé d’Islande et de jour indéfini pour constater sur place, à Reykjavík au mois d’août, que ce jour tombant où l’on guette quelque chose qui n’arrive pas, est encore plus angoissant que la vraie nuit.

Petite, j’ai pleuré jusqu'à l’âge de 6 ans pour aller dans le lit de mes parents. Après ils ont divorcé et j’ai fait le cirque à ma mère encore quelques années. Quand elle ne cédait pas, je me cachais sous mes couvertures avec des angoisses terribles au ventre. J’attrapais des sueurs tellement j’avais chaud là-dessous. Ma mère me demandait régulièrement de quoi j’avais peur. Je répondais, désemparée, que je ne savais pas. Ce qui était vrai.

Je suis mère à mon tour. Ma fille m’a appris à apprivoiser la nuit. Les repas toutes les 3 heures du début où seul le rythme de l’enfant donne la cadence. Rapidement, j’ai acheté une veilleuse pour sa chambre. Il y a peu, elle m’a demandé de la protéger à l’approche du sommeil.

J’habite à la campagne. Un réverbère en bas du jardin, beaucoup d’arbres. Au début, je fermais tous les volets quand, en hiver la nuit tombe à 5 heures. J’ai adopté un chien, un gros chien qui fait assez peur.
Je déteste mon mari quand il rentre tard car de nouveau, une boule me crispe le ventre, je n’arrive pas à m’endormir. Je regarde des trucs sans relief à la télé. Je guette comme un enfant le bruit des pneus sur le gravier. L’autre jour je commençais à « trouver le temps long », c’est mon expression. J’ai appuyé sur la télécommande au hasard et suis tombée sur une interview de Théodore Monod qui disait « L’ère de la brosse à dent électrique c’est nul quand on voit la cruauté des hommes », j’ai trouvé ça classe. Ça m’a laissée pensive, j’ai regardé le journal de la nuit sans rien écouter. Je suis sortie du songe à la fin de la météo quand une dame blonde et mince, a annoncé que demain, c’est la saint Germaine.
J’en connais pas.

Extrait de Fromage de tête, texte en cours d'écriture. Stéphanie Soudrain

Monday, September 18, 2006

Vomir.

J’écris de plus en plus comme un cochon. J’écris de plus en plus comme je parle : comme un cochon. Je laisse faire. J’aime ça et en même temps je suis un petit peu gênée : c’est sans doute illisible. Je n’écris pas ce que j’aime lire et je n’écris pas comme ce que j’aime lire, et alors. Depuis que je suis enfant, je suis émétophobe. Ca signifie que j’ai la phobie de vomir. Il y a pas mal de gens qui souffrent du même problème que moi, en secret. Nous sommes tout un groupe, les émétophobes. Nous sommes un groupe d’éviteurs. Nous évitons certains aliments, nous évitons certains lieux publics, nous évitons certains véhicules ou certains voyages, nous évitons certains divertissements, tout cela par peur de vomir. Parfois, par hasard, nous rencontrons quelqu’un comme nous et alors, quelle liesse, quel soulagement, enfin un semblable, quelqu’un qui sait à quel point cette histoire d’émétophobie ce n’est pas une petite histoire, qu’il n’y a pas un seul jour où on n’est pas empêché par cette phobie, la peur de vomir. Aucune proposition de sens pour expliquer cette phobie n’a eu d’impact sur elle, elle a toujours été là et elle est toujours là. Encore aujourd’hui, j’ai bien plus peur de vomir que de mourir. Il y a quelque chose dans le travail de décontraction de l’écriture qui parle avec cette peur panique. Invariablement, les nuits qui suivaient le soir de noël ou du jour de l’an, je me retrouvais dormant dans la même chambre que mes sœurs à Maule parce qu’il n’y avait plus de place à cause des invités et invariablement, mes sœurs avaient trop mangé de choses trop exceptionnelles, du saumon fumé, des blinis, du tarama, du gâteau au chocolat et de la crème anglaise, et invariablement, elles passaient la nuit à vomir chacune dans leur bassine, alors que je me trouvais au milieu d’elles, et toute la nuit je fermais tous les orifices de toutes mes forces: ne pas sentir, ne pas voir, ne pas entendre. J’avais des crampes à me tenir comme ça, fermer six orifices avec deux mains, c’était compliqué comme position, mais il en allait de ma survie : ne pas sentir l’odeur, ne pas voir, ne pas entendre et malgré tout, bien sûr, je m’endormais et mon système de défense se détendait, si bien que sans le faire exprès, je rouvrais mes narines et mes oreilles dans mon sommeil et alors je me faisais surprendre par les spasmes de l’une de mes sœurs qui remettait ça, et il n’y avait rien de pire, rien de pire, je préférais étouffer la tête sous l’oreiller plutôt que d’être contaminée par les sons et les odeurs du pire désastre qui soit, vomir. Je souffrais continuellement de nausée. La nausée, c’est très désagréable, mais chez moi, c’était toujours autre chose en plus que le malaise physique, c’était la peur qui montait, la peur irrépressible de cet état qui me rapprochait lentement, par vagues, de quelque chose de plus fatal que la mort elle-même : je vais peut être vomir. La peur a toujours pris la forme de la nausée. Ce n’est pas : j’ai peur, c’est : j’ai mal au cœur. Aussi loin que j’essaie de comprendre cette affaire, je bute sur un principe : le retournement ultime. Aucune explication médicale n’est jamais parvenue à me persuader du contraire : quand on vomit, ce n’est pas juste le contenu de son estomac qui sort, c’est tout ce qu’il y a à l’intérieur, tous les organes internes, les viscères, le cœur, le foie, l’estomac, tout. Vomir, c’est une exigence de l’intérieur. C’est quelque chose à l’intérieur qui exige que tout le corps se retourne, exactement comme lorsqu’on retourne un sac rempli de choses et qu’on se retrouve avec tout son contenu éparpillé par terre, et qu’il ne reste plus que cette espèce d’enveloppe flasque et vide, retournée, qui était un sac l’instant d’avant. Quand vient la nausée, je sens cet ordre sourd émanant de l’intérieur, quelque chose d’autonome et d’autoritaire qui dit : si je le veux, nous pouvons tous sortir et tu assisteras à ton propre retournement, jusqu’à te retrouver à l’état de tas sanguinolent, les tripes à l’air et ce sera fini, tout sera fini. C’est pourquoi il a toujours été hors de question que je vomisse.

Extrait de Tahitidouche, texte en cours d'écriture. Alice Florentin.

Sunday, September 17, 2006

Haut les mains.

Quand j'étais petite, après le bain, mes doigts étaient tellement frippés qu'ils me dérangeaient jusqu'à la brûlure. Je ne pouvais toucher ni papier, ni coton avant que mes mains ne soient totalement sèches ; en attendant, je les tenais en l'air un long moment. Alors que je me trouvais chez mon père, au Mexique, il décida de me faire examiner par des médecins, puis par des spécialistes qui ne trouvaient rien. Le phénomène a cessé de lui-même à l'adolescence.
Cependant, j'ai horreur de passer un bouton dans une boutonnière trop serrée quand j'ai les mains humides.
Alexandra Compain-Tissier.

Saturday, September 16, 2006

Faux toucher.

Si mes doigts sont couverts de farine (par exemple après avoir touché du pain, ce qui est somme toute assez courant) je ne peux pas toucher de porcelaine, même en pensée. Il se passe quelque chose entre la porcelaine, la farine et le bout de mes doigts ; ça n'est pas un bruit — une sorte de crissement du toucher — un cri ? Il y a quelque chose de l'ordre du démenti et de la panique. Le toucher ressenti : fuyant, aproximatif — de quelque chose qui se dérobe — est à l'opposé de ce que je vois : un objet lisse et solide, parfaitement présent. Mais tellement lisse ; la farine transforme la présence simple en présence fuyante. L'objet saisi se révèle différent de ce qu'il prétend être.
Vincent Bergerat.